Le vieux et moi – Page 168
Son amour de la jeune fille consiste en une envie de les regarder et de les modeler bien plus que d’en abuser, mais je refuse de le laisser faire.
Son amour de la jeune fille consiste en une envie de les regarder et de les modeler bien plus que d’en abuser, mais je refuse de le laisser faire.
Avant de nous endormir avec Barthélemy, on bouquine. Et on discute des personnages de romans et des auteurs qui nous plaisent. C’est un moment agréable. On est presque heureux.
Comme le vieux, j’analyse la beauté mais elle ne m’obnubile pas de la même façon que lui. Je suis préoccupée par la séduction et je ne me sens pas assez belle selon sa définition très géométrique de la beauté.
Quand je refoule ses avances, il se vante et veut que je sache à quel point les jolies jeunes femmes sont folles de lui. Ce sont nos moments de fous rires assurés.
Barthe n’avait pas pu s’empêcher de s’intégrer aux « autochtones » alors je m’étais assise sur un banc, entre les platanes. Et il s’était mis à commenter une partie de pétanque en prenant l’accent des gens du pays.
A Saint-Tropez, quand on était allé prendre un thé à la terrasse « du petit café culte » Sénéquier, les touristes nous avaient regardés avec insistance pour essayer de deviner quelles personnalités connues, on était.
Bien sûr, elle nous dérange mais ce n’était pas nécessaire de ma part de le lui faire comprendre avec quelques rires un peu forts. Barthe a été vaguement désagréable.
Avant la tombée de la nuit, il m’a fait visiter la grande bâtisse et, dans le jardin, les ruines de son donjon du IX ème siècle où se trouvait autrefois un château fort appartenant à Charles le Chauve.
Barthélemy a fait du feu dans la cheminée. On a dîné des restes, assis devant les flammes, dans des vieux fauteuils en cuir élimés. J’aime ces moments où on parle, on rit et je n’ai pas besoin de me placer de façon à ce qu’il me voit à mon meilleur avantage.
Les proches du vieux, cousins et amis, ont souvent récupéré les femmes que lui n’arrivait pas à aimer. Son neveu s’est entiché de l’illustratrice que Barthe avait rencontrée chez son libraire et invitée en Bretagne.
Barthe met du temps à s’accoutumer au corps, au visage et surtout à la présence d’une femme. Il me dit : « J’aime ton atmosphère. » Comme il ne parle pas comme tout le monde, ça me donne l’impression d’être très spéciale.
Son idéal féminin est représenté par les dessins de Manara. Les filles sont élancées, « arc-boutées », avec des jambes extraordinaires, des attaches très fines, des fesses très hautes.
Sans être la plus jolie dans sa définition très classifiée, calibrée et mesurable de la beauté, j’ai « des mensurations presque parfaites », « un insolite rapport beauté physique/personnalité » et je sais faire en sorte qu’il ne soit jamais déçu de moi.
Comme toutes ses maisons, souvent peu utilisées, cette « maison de la mer » a une odeur de poussière mêlée à la senteur sucrée de son après-rasage Old Spice. En français, ça veut dire « vieille épice » et ça lui va bien.
Avec le vieux, il n’y a pas de fin définitive parce qu’il n’y a jamais eu un vrai début. Notre histoire n’a jamais vraiment commencée et ne s’est jamais complètement terminée.
Moi, je refuse de l’aimer amoureusement mais je m’y suis quand même attachée. Je peux me passer de lui mais pas de son béguin pour moi.
J’appréhende d’être en compagnie d’hommes âgés et même si j’appelle le vieux « papa », les gens ne sont pas dupes. Barthélemy a la gueule d’un homme qui sort avec des jolies jeunes femmes.
Je l’ai pourtant aimé sur l’île aux Mouettes. Il n’y avait personne d’autre à aimer sur cette île. Heureusement, ça n’a duré qu’un jour ou deux. C’était une mauvaise idée. Je préfère rester une lolita capricieuse et récalcitrante.
Barthélemy est pris par un exposé sur « notre » histoire. Il ne se rend pas compte qu’un morceau d’algue, de sa soupe au miso, s’est accroché à une de ses dents.
Quand on voyage avec Barthe, il faudrait que le pays soit évacué pour nous des vacanciers et des bruits qui dérangent afin qu’on dispose du lieu pour nous seuls. Tout ce qui déprécie le site qu’on explore, le perturbe. Il s’offusque. Il bougonne. Et il gâche ma balade.
Le vieux voudrait du paysage à perte de vue. Il est exaspéré lorsqu’on se trouve derrière des camions ou des caravanes.
Barthélemy clame, à qui veut bien l’entendre, que « la laideur est une agression personnelle » contre lui. Il souhaiterait qu’il y ait un Ministère de l’Esthétisme.
On a toutes sortes de gamineries avec le vieux. On joue aussi à s’approprier les châteaux qu’on visite.
Barthélemy décide de quitter la piscine. Il me propose de venir le retrouver pour le thé, sur la terrasse couverte devant le lac, après encore six longueurs. Il me laisse parfois seule pour vérifier ma débrouillardise.
Ces gens, « nés du bon côté », vaquent dans le luxe aussi simplement que je vais au supermarché.
Après ma promenade dans les couloirs tapissés, j’ai tenté d’épier les chambres, j’ai inspecté la salle Napoléon et la salle aux colonnes et puis, je suis allée attendre que Barthe rentre de sa superbe balade en bateau avec les Parisiens.
Devant la dame, je fais comme si j’ai l’habitude d’abuser des instituts de beauté et d’être traitée comme une reine. J’ai pourtant envie de me confondre en remerciement pour ses attentions mais je sais que ça ne se fait pas.
Tour à tour, les employés des palaces, comme des caméléons, deviennent papier peint, tapisserie, colonne, mobilier ou statue. Ils doivent être transparents. Faire preuve d’invisibilité en dispensant leurs services. Comme si tout survenait par magie.
J’ai decliné une proposition de promenade en bateau avec deux des personnalités les plus riches de France. Barthe est déçu que je ne voie pas tels et tels superbes palais où il est prévu de s’arrêter.
Mis à part les toilettes très sophistiquées, qui me servent de cachette, il y a une piscine flottante et une piscine chauffée à la Villa d’Este mais je n’ose pas m’y baigner.
La porte tournante, c’est le départ d’un tour de manège au pays des cinq étoiles. “Là, tout n’est qu’ordre et beauté. Luxe, calme et volupté.”
Mais Barthe a « de plus en plus d’aversion pour le corps des femmes qui ont passé vingt ans ». Sauf moi qu’il persiste « désespérément à désirer », alors que j’ai, au Japon, « déjà vingt-trois ans ».
Après dîner, on est allé faire le « tour du propriétaire » de notre quartier où l’on trouve encore un ancien bain public, un « sento ».
Barthe sait discerner sous le maquillage, les vêtements et l’apparence. Les deux Nippones ne pourraient pas le duper.
Quant au prince, il est en train d’engloutir verre sur verre d’un « excellent saké » et il sort de sa bouche, des « Ahhh…» favorables à mon égard, en acquiesçant dignement de sa tête bouffie aux yeux pochés.
Nos invités n’ont pas tardés. Le Prince-je-ne-sais-plus-comment, accompagné de deux richissimes « Japo niaises », comme Barthe les appelle. Les Japoniaises ont des petites jambes arquées et de grandes dents qui s’avancent.
Barthélemy n’aime pas que je le débusque. Il est évasif quand on lui pose des questions auxquelles il ne veut pas répondre. Mais moi, je ne le lâche pas.
Ça ne m’épate pas de rencontrer les gens brillants que le vieux reçoit dans ses programmes culturels. Des poètes, des penseurs, des scientifiques. Et il est déçu est déçu que je ne profite pas de ma chance d’approcher de près cette élite.
— Tu m’as dit que tu m’embêterais jamais avec ton boulot, j’ai répliqué lors de cette confidence, sensée me montrer que je passais avant tout. Son travail, c’est du temps de perdu pour s’occuper de moi.
Le vieux est troublé par les « infimes singularités » des femmes. Leur voix, leur démarche ou une « petite laideur » qui ne colle pas dans ses règles de beauté et de personnalité.
Pour Barthélemy, la culotte Petit Bateau en coton blanc, c’est le degré extrême de l’érotisme. Il a horreur des sous-vêtements sexy. Surtout les strings.
Quand le vieux veut m’acheter des cadeaux, je fais le plein. Il n’a pas systématiquement envie de trainer dans les magasins.
Pour Barthe, je ne fais pas souvent l’effort de me maquiller. Il est déjà séduit. D’ailleurs il me préfère en adolescente plutôt qu’en jeune femme. Pâlotte, les cheveux emmêlés, les lèvres blêmes, avec sous mes cils châtains, mes yeux pleins d’innocence.
Je n’ai pas une beauté constante mais depuis qu’on se connaît, je continue à devenir plus jolie.
Le vieux a une sexualité étrange. Il n’est pas comme n’importe quel homme qui ne se retiendrait pas devant une jolie femme.
Dans un carnet noir à spirale, Barthe a écrit qu’il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi beau, les yeux fermés. Pourtant, il m’adore aussi les yeux ouverts.
Je ne prends aucune initiative avec lui. Il est effrayé par les femmes démonstratives et chez moi, il aime la “débutante”.
— Tu es vraiment pénible, parfois, il continue, en remontant vers moi.Alors, je fais ma gentille. Je le devance, un bout du trajet, sautillant de roches en roches.
On est encerclés par les rochers roses et ces énormes araignées de la taille d’une main, sur leurs gigantesques toiles tissées qu’il faut déchirer pour avancer.
Avec Barthe, c’est plein de rebondissements plutôt comiques. Il s’est relevé. Il est toujours motivé. Il a perdu un verre à ses lunettes fumées, dans cette « descente maîtrisée ».
Devant nous s’étend une forêt de granits roses. On n’aperçoit même pas la mer.Barthe est vif. Il prend de l’avance tandis que j’escalade avec peine les granits escarpés.
Très ferme dans la planification de mon programme aux Seychelles, le vieux veut que je nage trois fois par jour et que je fasse du vélo tous les après-midi.
En rentrant du lycée, un après-midi, j’avais trouvé un billet d’avion dans la boîte aux lettres. J’étais en terminale.
Il se vante ainsi de pouvoir « discerner à deux cents mètres, si une fille est émouvante et si ses fesses sont trop basses ».
Et la longueur des jambes est « essentielle » pour Barthe afin que ses yeux « prennent le temps de remonter jusqu’en haut ».
Lors de ses préliminaires prudents au Japon, quand je le regarde avec « un air désobligé », il grommèle qu’il est désiré par toute une variété de femmes.
Il faut, toujours, regarder avec lui. Il ne me laisse pas une seconde pour apprécier. Je n’ai même pas le temps de ressentir une émotion. Il est en train de me refiler toutes les siennes.
Mon regard erre vaguement sur les palais, accrochés aux montagnes vertes, comme des ornements de Noël sur un sapin. Je suis plus passive que de coutume quand je digère.
Le vieux me montre toujours le paysage, quand il conduit et il me regarde en même temps. Il guette les moindres expressions de ravissement sur mon visage.
Sans cesse, le vieux prétend faire, pour moi, des choses que je n’ai pas demandées. Mais il agit ainsi avec tout le monde. Ce qu’il fait pour les autres c’est avant tout pour son plaisir personnel. Il aime partager sa passion des voyages.
Tout ce qu’il fait, c’est de façon désinvolte, manger ou même parler. Sauf m’aimer. Probablement la seule chose qu’il fait trop sérieusement.
Dans ce décor de conte de fées, on prend le thé, selon notre coutume. J’ai l’impression d’être “au temps jadis”.Quand on est bien ensemble, Barthe se laisse trop aller à me dire qu’il m’aime et il sabote la belle journée.
Franchement, il nous est impossible de passer inaperçu et souvent, dans la rue, les gens se retournent sur notre passage. Barthélemy ressemble vraiment à un acteur et j’ai l’air d’un mannequin.
Je n’ai aucun ami au Japon.
Comme partout avec le vieux, je ne rencontre personne de mon âge.
Barthe aime me regarder manger. Il s’arrête souvent au milieu du repas pour m’observer en train d’ingurgiter le contenu de mon assiette, à la manière d’une benne broyeuse.
Mi-ombre, mi-soleil, je m’étais allongée sous un parasol et j’avais signé la note pour la location des transats en y inscrivant fièrement notre numéro de chambre.
Mon premier soir avec le vieux, c’était aux Belles Rives. Cet hôtel de luxe à Cap Antibes est l’ancienne villa de Scott Fitzgerald.
Au club de sport, les monitrices d’aérobic me demandent, tout le temps, en anglais : « C’est votre père ? »
— Mon oncle, je précise, pour qu’elles n’aient pas besoin d’être trop gentilles avec moi.
Parfois, Barthe m’attend au club. Il a fui le boulot et éteint son téléphone. Il est assis, dans la salle des machines de musculation, sur le banc matelassé, avec dossier, de l’appareil qui fait travailler les bras et il lit Le Monde, entre deux exercices.
Je ne connais personne d’autre que le vieux pour côtoyer les stars de si près et ne pas en abuser.
Barthe appelle les imperfections mineures qu’il arrive à surmonter : « les infimes laideurs des jolies femmes ». Il a toute une théorie dessus. Le vieux a des théories sur tout.
Les matins, à Tokyo, j’attends que Barthe et son fils quittent la maison. Puis, je me réveille toute seule dans cette grande résidence japonaise, légère comme un origami.
En revenant de la Promenade des Anglais, je suis rentré tout naturellement faire pipi dans le palace, connaissant l’emplacement des toilettes. D’ailleurs les portiers ont vu ma tête, une heure plus tôt.
On est allé s’asseoir dans le hall d’entrée grandiose avec son immense lustre de Baccarat, sa verrière Eiffel et ses œuvres d’art. Et il m’a ensuite envoyé en expédition commandée pour l’inspection des toilettes.
Le vieux veut me montrer le fonctionnement des palaces et des gens de son milieu. Il s’applique à démystifier le monde du luxe, des stars et des intellectuels afin que je m’y sente tout à mon aise.
En secret, je souhaite qu’il se fasse pincer. Mais pas en ma présence. Quand il est avec moi, je préfère qu’on n’ait pas d’ennuis.
Dans sa besace en bandoulière, le vieux a toujours un short de bain et ses chaussures de plage qui sont de vieilles Westons, sans lacets.
C’est donc à Cannes, au tout début de la saison touristique, un an après notre rencontre, que le vieux m’a entrainé à l’abordage des palaces. On s’est déjà quitté une deux fois. J’ai dix-huit ans depuis trois mois.
Avec le vieux, on fait les difficiles. On critique le service, la décoration ou les toilettes d’un endroit réputé comme si rien n’était jamais suffisamment bien pour nous.
Il faisait presque nuit quand on a pénétré dans le Majestic avec notre dégaine décontractée. On donne vraiment l’impression d’être des habitués des palaces.
Je pense qu’on va, cette fois, se faire prendre sur le fait mais Barthe, toujours détendu, me dit : « Quand on est dans un palace, ouvre toutes les portes, va voir partout, tu es ici chez toi… »
Avec Barthe, j’ai découvert les châteaux, les villas et les palaces. Comme lui, j’aime leurs décors très étudiés, leurs styles « baroques », leurs ornements et leurs façades comme des pièces montées de mariages.
Enfin assise, les jambes en coton, je lui avoue combien j’ai peur que la Direction s’aperçoive qu’on est des imposteurs. Je me sentirai honteuse s’ils nous chassaient devant les vrais clients.
« Pirater » les hôtels de luxe, comme le dit Barthe, avec son vocabulaire de marin, c’est un de ses passe-temps préférés.
Le vieux trouve toutes sortes de prétextes pour que je sois gentille avec lui et je suis certaine qu’il a caché son chien quelque part. Ainsi je pourrais le réconforter.
Je m’en fiche royalement que Barthe soit agité. Il dit que j’ai « une capacité d’inertie qui l’épuise ».
En fin de vacances avec lui, je suis impatiente de partir. Je suis saturée de visiter et je fais le décompte des jours qui restent.
Depuis quarante-cinq minutes, il s’époumone en faisant le tour de la maison. Le Requiem de Mozart, à fond sur la chaîne hi-fi, s’échappe des fenêtres et portes grandes ouvertes.
Sans le vieux, je n’aurais jamais fait toutes ces choses et je ne me serai pas incrustée dans un monde où je n’ai pas ma place.
Souvent à Venise, on emprunte le Riva Ciga pour aller passer la journée à l’Excelsior où on usurpe deux transats autour de la piscine.
Barthe a chapardé, pour moi, un pyjama chinois dans le supermarché d’un petit village japonais. C’est encore un exemple de ses frasques machinales.
La fraude dans les vaporetto est une des distractions favorites du vieux. Je connaîtrai par la suite d’autres séances de cache-cache avec les contrôleurs sous son égide mais ça me perturbe trop pour m’amuser.
Comme ses fuites qui font du surplace dans les cauchemars, je suis toujours au même endroit. Ma peur des flics et des surveillants, m’a clouée sur place.
Barthe ne m’a jamais donné d’argent, avant le séjour nippon. Il a toujours prévu tout ce dont je pouvais avoir besoin et lorsque je désire quelque chose, je lui demande.
Il sait que je ne garde rien de ce qui nous concerne, ni courrier, ni cliché. C’est ma façon d’occulter cette histoire. Il n’existe d’ailleurs aucune photo où l’on nous voit tous les deux.
En me donnant sa photo imprimée sur la page arrachée d’un vieux magazine Elle, il m’avait dit : J’étais pas mal dessus.
Le vieux admet que j’ai « un drôle de physique ». Pas classique, mais « étonnant et émouvant ». Il utilise beaucoup ces deux mots pour me décrire.
Partout on remarque le vieux. Même dans la foule.
Ce jour-là, j’ai peur, qu’il meure et me laisse toute seule dans l’océan. Je n’ai pas du tout envie de mourir jeune et je ne veux pas mourir avec un vieux.
Le vieux et moi, on a failli mourir ensemble. Je n’ai pas encore dix-huit ans.
En deux roues, nos ballades nous emmènent jusqu’à Kamakura devant le Grand Bouddha en bronze ou sur l’île d’Enoshima.
Partout, j’ai fait de la bicyclette avec lui. À Paris, dans son île de Bretagne, à la Digue aux Seychelles. Et quand je suis arrivée au Japon, le premier achat qu’on a fait, ensemble, c’était un vélo neuf pour moi. Vert anglais, « avec une selle en cuir brun et un petit panier en osier à l’avant ».
Pour les autres, il est en Italie, en reportage commandé par le Courriere de la Serra, ou il termine un article pour Le Monde en Bretagne…
Le vieux ment à ses collaborateurs. Il ment à ses secrétaires. Il ment même à ses enfants mais il arrive rarement à me bluffer. Je suis souvent l’origine du délit.
Dans les vieilles baraques et sur les îles de Barthe, les bouquins, les magazines, les journaux et la musique classique ou traditionnelle sont présents mais pas la télévision.
Dans un vieux magazine de luxe sur la vie des “people”, il apparait sur une photo en compagnie de la princesse Caroline de Monaco et son premier mari. Il est inscrit dessous : Caroline de Monaco, l’acteur Philippe Junot et un ami.
Barthe prend un certain plaisir à saouler tout le monde avec ses récits. Il est un spectacle à lui seul mais moi, je connais presque toutes ses aventures. Il me les a relaté cent fois.
Avec Barthe, j’ai souvent l’impression d’assister à une conférence. J’apprends un tas de choses et j’ai moins l’impression de perdre du temps avec un vieux.
Les Parisiens ont toutes les réponses aux questions de l’Existence. Ils sont les seuls habitants du monde. Les autres, c’est le décor.
Quelle que soit la question que je lui pose dans quelque domaine que ce soit, Barthe trouve toujours à me répondre. Je ne l’ai jamais dire « Je ne sais pas ». Ni aux autres, ni à moi.
J’ai dû enquêter pour découvrir son âge véritable, dont seules sa maman, ses sœurs et ses femmes ont connaissance. Il en fait tout un mystère à ses anniversaires et se rajeunit, en général, d’au moins cinq ans.
Le vieux a peur de mon « absence de discernement » envers mes « soupirants ». Sans cesse, il m’a reproché une « trop grande naïveté avec les autres ». Il appelle ça ma « fraîcheur d’âme ».
Chez Castel, un garçon, un peu boutonneux, est venu me parler. Le vieux n’apprécie pas que je sois abordée par des beaux, mais surtout il m’interdit de parler aux laids et aux imbéciles.
Très simplement vêtus, juste un peu mieux que les clochards, les aristocrates sont des gens fiers dans des habits usés.
Aux yeux ronds, hébétés des badauds, j’avais envie de hurler : « Non, nous on n’est pas des célébrités ! Nous c’est du toc ! Un vieux encore beau et une jeune fille qui n’a que sa jeunesse. »
Le vieux nous a entraînés dans des lieux réputés où l’on voit des célébrités. Mais je ne veux pas rencontrer du monde en sa compagnie.
À la soirée d’ouverture de la Mostra, à l’hôtel Excelsior à Venise, il était offusqué qu’aucun réalisateur n’ait été assez génial pour remarquer combien j’étais spéciale.
Tout en refusant d’être la femme du père de Morgane, Salomé, Malo et Jade, sa petite dernière, j’apprécie mes avantages. Je ne suis pas sa fille non plus. Il m’appelle sa « jeune fille indomptable ».
Dans les soirées avec Barthe, certaines femmes s’imaginent que je suis en train d’encourager mon père à batifoler.
Mon répertoire oscille entre la jolie et l’anodine. Dans le deuxième cas de figure, je ne regarde pas avec mon impertinence habituelle.
Quand le vieux a envie d’être près de moi, il est malhabile et me bouscule plutôt qu’autre chose.
J’ai glané un tas d’informations sur moi, dans ses calepins.
Au milieu de ses états d’âme « romantico-mélancoliques », on trouve par-ci, par-là, mes descriptions physiques décortiquées et une étude presque scientifique de mon caractère.
Moi, je corresponds à son type de la « longue androgyne ». Pourtant quand il m’a dévisagé la première fois, je n’avais pas toutes les références de beauté des jolies filles, selon lui.
Le vestibule du Danieli est féerique avec son escalier des Milles et une nuits, ses arches et son atrium. Je suis, malgré tout, contente d’être là.
Barthe m’emmène parfois prendre le thé dans les hôtels qui ont beaucoup d’étoiles et souvent, on emprunte leurs toilettes.
C’est devenu un jeu de faire pipi dans les palaces. Ça le divertit beaucoup plus que moi. J’ai toujours peur qu’on se fasse jeter dehors par les portiers.
À Venise, le vieux me fait visiter églises et palais et il m’entraine dans les palaces.
À Venise, Barthe me montre les plafonds décorés.
Il m’encourage à les regarder, à travers les fenêtres ouvertes des palais.
Le vieux craint que je ne voie pas la beauté sous toutes ses coutures et que je manque les « vues inédites ». Il ne voudrait pas que j’aie, par inattention, laissé passer quelque chose de rare.
Lors de mes premières vacances parisiennes, Barthe a aussi tenu à m’emmener, en train, à Venise. C’est son lieu de prédilection pour les débuts et les fins d’amour.
“Chacune de nos retrouvailles est une expédition amusante.”
Désolé pour les erreurs que je recorrige en relissant comme la dernière phrase de ce chapitre !
Le vieux a des principes d’aristocrates. Il ne commande jamais une demi-bouteille de vin au restaurant, même s’il est seul à boire, il ne regarde pas le montant de l’addition quand il donne sa carte de crédit et il m’interdit d’emporter la bouteille d’eau, après le dîner, même si elle est à moitié pleine.
Le vieux aime créer les scénarios de mes expériences. Comme la série des livres de petites filles Martine que maman me donnait petite, ma vie avec lui, c’est des titres d’album. Ils racontent mes activités et mes voyages : Fili prend l’avion, Fili à Paris, Fili en Italie, Fili au pays du Soleil-Levant…
Mon enlèvement a été le plus compliqué des rapts amoureux du vieux.
Toute jeune femme intéressée par Barthélemy est soumise au test de ses « critères de beauté ». Celle-ci doit, au moins, satisfaire certaines mensurations et les proportions de base qui déterminent le choix des futures élues pour une possible histoire avec lui.
À part les vieilles baraques, les vieux bateaux, les vieux meubles, les vieux objets et ses vieilles copines, le vieux aime les îles et les jeunes filles.
Barthélemy tombe plus facilement amoureux d’un lieu que d’une femme et dans les dîners, il parle de ses « histoires d’amour avec les maisons ».
Pour me confirmer mes « prédispositions », il n’arrête pas de me répéter qu’indépendamment de son « affection prononcée” pour moi et donc de sa partialité, j’ai du talent.
Mon journal intime m’accompagne dans tous nos itinéraires. Je griffonne là-dedans. Je dessine. Je boude. Je m’emporte. Je réfléchis.
Barthélemy a comme projet de me propulser vers une vie géniale mais il me retient.
Le vieux est, tout le temps, distrait mais ma proximité le rend encore plus gauche.
Un des avantages avec le vieux, c’est qu’on a les meilleures places dans les concerts, les spectacles et les évènements culturels qu’il organise. Il reçoit de nombreux artistes français au Japon.
Bon, là, je devrais dire : avait rencontré, avait pu constater et m’autoriserait…Je préfère le présent mais ici, je me rends compte, en relisant, que ça ne passe pas.Votre avis.
Le dimanche, on a fait du bateau.Je suis assise, « à la proue », dans le vieux voilier qui prend l’eau. Les yeux sur l’horizon, le nez au vent. Avec Barthe, je me laisse vivre.
L’île du Pavillon Noir
Il vous suffira d’une gorgée plutôt que de la tasse de thé pour la lecture du jour.
C’est minimaliste, aujourd’hui ! 😀
Même ceux qui n’ont jamais le temps peuvent prendre le temps de lire quatre lignes. 😉
Je ne l’envisage pas comme un amoureux potentiel. C’est un père. Dans la catégorie des « beaux » mais dans le sous-groupe des « vieux ».
Avant ce jour, j’ai présenté quelques vêtements de prêt-à-porter dans les centres commerciaux de la région et c’est une première pour moi, d’enfiler des vêtements de grands couturiers.
J’ai seize ans quand le vieux surgit dans ma vie. Il a plus de deux fois et demie mon âge.
Au Japon, j’ai le cœur occupé par un autre et ca me protege d’aimer un vieux. Barthélemy est le genre d’homme dont il ne faut surtout pas tomber amoureuse.
Un de mes rêves de jeune fille, c’était d’être danseuse au Crazy Horse Saloon. Pas au Lido ! 😀 Je voulais les perruques avec la coupe au carré et la frange plus les bottes à lacets plutôt que les plumes et paillettes.
Photo prise il y a deux ou trois ans avant une soirée costumée, avec une […]
Dans le car, Barthélemy s’est assis à ma gauche.
Mon plus joli côté de visage, c’est mon trois-quarts droit. J’ai donc demandé de me mettre à la fenêtre en prétextant un mal au cœur et on a changé de place.
Voilà quelques-uns des traits de caractère de ce monsieur bien élevé. Il parle seul pour se donner contenance, fait semblant d’être sourd quand il n’a pas envie d’entendre quelque chose et ment quand il est surpris en flagrant délit.
Au Japon, je l’ai retrouvé pour de nouvelles aventures. Il sait bien que je ne suis pas avec lui pour l’aimer ou le rendre heureux.
Ma seule vraie liberté avec lui, c’est de toujours l’opposer.
Devant les temples de Kyoto, Barthélemy me dit « Regarde! » Et dans les jardins zen, il récidive.
« Regarde comme c’est sublime », il déclame quand il me fait visiter.
« Regarde », c’est sa ritournelle avec moi.
À l’entrée du temple, des parapluies s’égouttent. Barthe s’impatiente. Je l’observe. Quand, tout d’un coup, sans hésitation, il pique un parapluie, l’ouvre et continue son chemin sous la pluie.
Sa caractéristique principale, pour moi, c’est le fait qu’il soit vieux. Et ça me dérange.
Nous voilà dans le train. Sur la même banquette. Côte à côte.
Les yeux fermés, soi-disant assoupi, Barthe a laissé glisser sa tête contre mon épaule. Je l’ai brusquement repoussé. Ses frôlements sont calculés.
Epigraphe
Dédicace
Moment de relecture et de réécriture ci-dessous pendant l’hiver mauricien.
Quand j’avais dix-sept ans, j’ai rencontré un homme qui en avait vingt-cinq de plus que moi. Cet homme a été bien plus qu’un amoureux. Il est l’un de mes meilleurs amis, un mentor et quelqu’un qui m’a toujours voulu du bien. De mon côté, j’ai été rebelle et pas toujours bien intentionnée.J’ai commencé un roman […]